Les porteurs de runes
Extrait
Me voilà devant ma page blanche, dans ma tête les idées et les conseils avancés par mes compagnons se bousculent, mais je ne vois toujours pas comment débuter le récit de notre aventure.
Nous avons vécus tant d'événements extraordinaires ces derniers jours, que je ne sais vraiment pas par quel bout prendre cette histoire. C’est un peu comme si le film de ma vie s’était brisé, laissant une multitude de fragments, dont les plus marquants reviennent tour à tour hanter les salles obscures de ma mémoire, sans que je puisse rétablir une quelconque chronologie.
Pourtant, a force de tris et de recoupements, je revois enfin le moment ou tout a commencé…
Dernier jour de l’ère technologique
Le car scolaire bringuebalait sur la petite route de campagne où il s’était engagé, nombre de ses occupants s’étaient assoupis, bercés par les oscillations et épuisés par la longue journée écoulée.
D’autant que nous étions partis très tôt ce matin là et que nous avions beaucoup marché dans les ruelles escarpées des châteaux Cathares que nous avions visités. N’avez vous jamais remarqué à quel point il est épuisant de se déplacer dans ces lieux fortifiés ?
Inévitablement situés en haut de monts escarpés, ils dominent de toute leur hauteur la vallée sur laquelle ils semblent veiller, tels des oiseaux de proies guettant leur pitance...
Nous avions ainsi gravis plusieurs de ces places fortes, comparé leurs architectures respectives, avant d’évoquer les batailles et les sièges qui avaient marqué leur histoire. Pour ma part, j’avais particulièrement apprécié les narrations de ces temps anciens où l’héroïsme et l’esprit chevaleresque avaient forgé des légendes.
Mais avant tout, je dois me présenter, je me prénomme Flavien, j’étais plutôt petit et maigre, les cheveux châtains, toujours coupés courts et bien peignés, je portais de petites lunettes rondes, qui cachaient mes yeux bleus clairs.
J’avoue que je n’étais pas quelqu’un de très extraverti, mais j’avais quelques copains dans ma classe. Dans le car, ce jour là, j’étais assis à côté de Maxy qui était d’un gabarit très différent du mien, il mesurait dix bons centimètres de plus que moi et devait peser deux fois mon poids. Ses cheveux bruns toujours en bataille, son gros nez épaté, comme l’étrange lenteur de ses gestes, lui donnaient l’apparence d’un vieil ours débonnaire. Surtout qu’il passait le plus clair de son temps à chercher ce qu’il allait bien pouvoir se mettre sous la dent.
Oui, je crois que nous étions de bons camarades ! En tout cas c’était ma vision des choses à l’époque. Il avait toujours le mot pour rire et puis il était plutôt balaise, alors je lui donnais quelques barres chocolatées de temps en temps et en échange il me servait de garde du corps. C’était particulièrement utile pour éloigner Dan et toute sa bande, qui n’osaient pas venir se moquer de moi lorsqu’il était dans les parages.
Ceux là, dès qu’ils en avaient l’occasion, ils choisissaient une tête de turc, sur qui ils s’acharnaient jusqu'à ce qu’il craque ou bien qu’ils en aient eux même assez de jouer avec lui et qu’ils ne choisissent un autre souffre douleur. Une fois, ils m’avaient harcelé de la sorte pendant toute une semaine, à tel point que je n’osais plus aller à l’école. J’avais même simulé un mal de ventre, pour ne pas y retourner, ce qui m’avait d’ailleurs coûté mon appendicite et quatre jours de clinique.
Le vrai prénom de Dan était en fait Daniel, mais si quelqu’un avait le malheur de l’appeler ainsi, il finissait à coup sûr à l’infirmerie, à tel point que tout le monde, ou presque, avait oublié son vrai prénom…
D’ailleurs en y réfléchissant, Maxy non plus n’était pas un nom de baptême, il s’appelait en réalité Maxime. C’est étrange comme les gens mal dans leur peau, peuvent essayer de changer de personnalité, juste par un diminutif, un piercing, un tatouage ou n’importe quel autre détail, qui leur donne l’impression de devenir quelqu’un d’autre …
Mais je crois que là je m’égare un peu, comme dirait Madame Racine, mon professeur de Français, je fais du hors sujet !
Ce jour là, nous nous trouvions donc quelque part dans le causse aride, un paysage de rochers et d’arbustes de petites tailles. Nous roulions sur le bitume d’un petit chemin de campagne, défoncé par les véhicules trop nombreux et trop lourds qui l’arpentaient quotidiennement. Il serpentait au milieu des touffes d’herbes jaunies par le soleil de printemps, encore assez haut dans le ciel, en dépit de l’heure déjà avancée de l’après midi. Seul quelques nuages d’altitudes, venaient voiler par moment sa lumière encore vive, dessinant sur fond bleu des animaux fantastiques, dont je cherchais à définir les contours mal habiles. Le vent d’autant, qui se levait à l’approche du couché du soleil, venait leur donner vie, les poussant doucement en modelant leurs formes.
Ce fut le moment que choisirent dans le fond du bus, Dan et ses deux acolytes, Arnaud et Jean-Pascal, pour lancer quelques plaisanteries douteuses qui ne firent guère rire qu’eux. Comme toujours, ils avaient pris possession de la banquette arrière, lieu stratégique depuis lequel ils pouvaient épier les fait et gestes de tout le monde, guettant une proie facile, sur laquelle ils pourraient déverser leur flot de sarcasmes habituels. Aussi, en vieil habitué, je m’étais recroquevillé dans mon siège, de façon à rester le plus discret possible et à faire oublier ma présence.
Mais à côté de moi, Maxy, qui s’était endormi, émit un ronflement sonore, qui fit pouffer de rire les filles assises sur le siège juste devant nous. Instantanément, je lui collais un coup de coude dans les côtes, histoire de lui éviter de se ridiculiser davantage et surtout de nous faire remarquer ! Il émit une espèce de grognement porcin, puis se tourna sur le coté, retrouvant une respiration moins bruyante.
Jetant un discret coup d’œil par dessus le dossier de mon siège, je cherchais à m’assurer que Dan n’avaient rien entendu.
Fort heureusement, ce dernier était très occupé à faire des gestes obscènes à un automobiliste, qui doubla en trombe le bus scolaire, donnant quelques coups de klaxon pour manifester son mécontentement, ce qui sembla les amuser plus encore. Lâchant un soupir de soulagement, je revins au doux ronronnement du moteur, qui ne tarda pas à engourdir mes sens.
Confortablement installé, je fixais dans le ciel de petits nuages moutonneux, qui dessinaient la tête d’un loup, gueule ouverte. Plus loin, caché derrière un autre aux formes plus arrondies, le soleil couchant découpait d’une lueur intense les contours veloutés de celui-ci, comme armé d’un chalumeau, alors que des rayons d’une luminosité irréelle, s’égayaient en éventail régulier juste par dessus.
Ce spectacle avait quelque chose de divin, je le suivis un instant sur l’horizon, comme hypnotisées par cette image apaisante, je sentis mes lourdes paupières commencer à se fermer doucement, sans que je ne leur oppose la moindre résistance.
Mais une traînée blanche, venant soudain se superposer à ce poster mystique, attira mon attention, piquant au vif ma curiosité. Au début, je pensai qu’il s’agissait d’un avion, laissant une traînée de condensation dans son sillage. Puis très vite, je compris que quelque chose n’allait pas, bien pire, sa trajectoire semblait converger vers celle de notre autobus. Oui, j’en avais la certitude, il plongeait vers le sol.
En approchant, la traînée de plus en plus visible, de couleur rouge et noire désormais, me parut être de façon plus vraisemblable, le résultat d’une combustion, comme si une boule de feux lancée à très vive allure, laissait derrière elle un long panache de fumée noirâtre.
Inquiet, je me redressais dans mon fauteuil, n’ayant désormais plus aucune envie de dormir, je suivais l’objet du regard, à mesure qu’il s’approchait, avec la terrible impression qu’il allait s’abattre sur nous.
Mais soudain, sa trajectoire suivit une légère parabole et il percuta le sol, dans un énorme nuage de poussières et de débris, qui formèrent un grand panache brun. Il venait de s’écraser sur notre droite, juste devant nous, sur le flanc d’une petite colline qui ne laissait apparaître de l’impact, que la colonne de fumée, haute de plusieurs mètres. Je retombai doucement dans mon siège, à la fois soulagé d’être toujours vivant et bouleversé par l’événement dont je venais d’être le témoin.
A cet instant, convaincu que je venais d’assister à un accident d’avion tragique, mon cœur battait dans ma poitrine, aussi rapide que si je venais de courir un cent mètres, l’essoufflement en moins. Je le sentais frapper avec acharnement, comme s’il cherchait à me délivrer un message : « Hé ! Tu ne vas pas rester là les bras croisés ! Fais quelque chose ! ».
Me levant, tel un ressort, avec l’ambition de prévenir l’un des accompagnateurs, je m’aperçus bien vite que quasiment tout le monde dormait, ce qui m’ôta tout semblant de courage, toute envie d’appeler au secours.
D’autant plus que le chauffeur semblait avoir de toute autres préoccupations, s’emportant bruyamment après son car, qui ralentissait encore sur quelques dizaines de mètres, avant de s’immobiliser sur le bas côté.